Hommage pré-mortem à Paname

Paris. Au départ était un marécage peuplé de Gaulois réfractaires, puis une Lutèce romaine avec ses arènes, ses thermes. Saint-Denis y a laissé sa chrétienté au III° siècle de notre ère, pauvre de lui s’il voyait son parvis… Renommée « Paris » puis hissée en lettres capitales, elle a été rasée par Attila et les meutes Vikings mais toujours s’est relevée. Fière et résiliente, elle s’est agrandie, peuplée de gueux et d’esprits éclairés, rien d’impossible que de raisonner le ventre creux. Prix du pain oblige, son peuple a sorti les pics pour y planter des têtes, bonnet phrygien et sein laiteux en offrande, que c’est beau une foule qui gronde ! Afin de surveiller cette bande d’insoumis héréditaires on lui a flanqué un préfet, CPE avec matraque, exception qui a perduré jusqu’à l’arrivée du grand Jacques (1977 pour être clair) dans le fauteuil de maire. Au mitan du dix-neuvième siècle, un baron a fait de cette souricière mal éclairée une ville lumière à la stature de l’Empire, larges avenues et lignes droites permettant à l’armée de rouler sur les récalcitrants. Las, Paris était incorrigible et les communards l’ont prouvé sur les barricades, eux dont le martyr abreuve encore le récit collectif.

Une parenthèse Belle époque, Paris a plongé dans Paname avec insouciance. Le phare circulaire de la Tour Eiffel illuminait les six coins de l’hexagone, des dizaines de millions de curieux s’agglutinaient à ses expositions universelles. Le vieil Hugo, Renoir, Toulouse-Lautrec, les froufrous du Moulin-Rouge, Picasso, Baudelaire, Monet, Rodin, Debussy, l’Art Nouveau… Le Paris d’alors était une fête, bruyante et enfumée, où il fallait absolument en être. « Ce n’est plus votre ville, c’est le maître du monde ! » aurait dit l’ami Racine. On s’y aimait d’amour et d’absinthe, on y croisait des peintres maudits, les hérauts de la révolution prolétarienne, des hâbleurs et des monstres de foire, scène de théâtre à ciel couvert. La culture était une actrice de boulevard gouailleuse à souhait, le péquin pouvait l’approcher sans qu’il soit rembarré par son service de sécurité. Rien à voir avec la pimbêche frileuse qu’elle est devenue.

On y a tué Jaurès en son cœur et les puissants ont déclenché la grande boucherie de 14-18 que leurs crétins de successeurs exaltent un siècle plus tard. Un front populaire, des révoltes populistes puis la Deuxième, de guerre, l’horreur en absolu. Paris libéré, tout était à reconstruire. Heureusement qu’il restait des bras. Peu de temps après, est arrivé 68 en plein mois de mai. Chant du cygne du Paris populaire. Il n’y a que les libertaires et leurs rejetons capitalistes qui ont trouvé de la plage sous les pavés.

A partir de là, ou un peu après disons, le Paris des bouffeurs de girafes s’est lentement effacé. De crises en krachs, le peuple s’est éloigné de la Seine pour laisser place libre aux nouveaux proprios. Plus musculeux que les Huns, plus redoutables que les baïonnettes de monsieur Tiers, le marché et son glaive politique sont parvenus à expulser la canaille de Paris.

La flambée du prix de la pierre qui fait de Paris une ville musée ? Tant mieux puisque le système économique n’a plus besoin que de têtes pensantes et de quelques serviteurs. Plus isolés que leurs aïeux des bals pop’ syndiqués CGT, les précaires n’y ont vu que du feu. Allez les ploucs, on débarrasse le plancher, un coup de filtre Instagram, et l’appart est déjà occupé par un jeune couple dynamique. Des qui payent leurs impôts, montent pas le son, roulent à vélo, les cons, et votent bien comme il faut. Le gros des classes moyennes a pris la fournée suivante, incapables de se ruiner pour une cage à lapins, direction les banlieues un peu moins rouges. Ou plus loin encore vu qu’avec le Grand Paris on habitera Paris jusque dans son pavillon Phenix. Les promoteurs ne parviendront pas à refourguer les tours de trente étages et les derniers quartiers insalubres aux « nouvelles populations » : ça tombe bien, la mairie pourra toujours se targuer de mixité. Un Paris londonisé, cadres sup et modeuses ravis du mélange des cultures, du moment que c’est pas sur leur palier qu’une famille malienne fait à grailler. Aux périphéries, la rage de vivre là, au périurbain le désarroi, la solitude. La piétaille est désormais loin du centre de pouvoir, Versailles peut dormir sur ses deux oreilles.

Vous ne verrez plus les écoles élémentaires mêler la gosse du notaire et celle de l’infirmière, chacun chez soi, c’est mieux comme ça. Belle lurette que les caramels à 1 franc de Renaud ont fondu sous la chaleur de l’euro, tout est si cher à Paname ma bonne dame. Les PMU se rapetissent en essayant de ne pas attirer la convoitise d’une florissante franchise, genre bar à céréales ou autre sottise. De la Belleville tunisienne où même les gargotes kasher affichaient leur Ben Ali en poster, où le vivre-ensemble plantait sa chaise dans la rue et attendait qu’on vienne le saluer, ne demeure qu’un boulevard gris empilant les cafés chicos au bois clair et à la clientèle tout aussi peu foncée. De populaire, surnageront les kebabs et les magasins de téléphonie mobile… triste fin pour la ville du « Boulevard du Crime » où chaque soir des époux volages étaient poignardés sous les hourras de milliers de prolétaires et d’artisans. En ce temps-là, le quart des parigots allait au théâtre au moins une fois la semaine, le téléviseur n’avait pas encore envahi les foyers, édifiant une frontière entre vous et la terre. Simple nostalgie nous rétorquera-t-on. Aujourd’hui, les seringues ne jonchent plus les allées des Buttes-Chaumont, la ville est plus propre, plus éclairée, plus connectée. Haussmann version II.0 quand des caméras de vidéo-surveillance surveillent chacun de vos mouvements au plus grand bonheur des sociétés de sécurité. Les maraudes de la maréchaussée plus fréquentes, les bonnes gens peuvent circuler innocemment. Et même profiter du sommeil du juste puisque les établissements nocturnes veillent au grain, loin est le temps où tout un chacun pouvait guincher jusqu’aux heures pâles du petit matin.

Soit. Transposons hier en maintenant alors. Croyez-vous que Modigliani aurait posé son spleen sur les hauteurs de Montmartre ? Victime du Grand Paris, il aurait probablement été relégué en bordure de RER C, rognant sur ses cigarettes pour se payer un billet vers la station de ses rêves. Où donc aurait-il connu Jeanne Hébuterne puisque les bals masqués ne reçoivent plus que sur réservation ? Les Gainsbourg, primo-arrivants comme on les appelle maintenant, auraient été poussés à répéter leurs gammes dans un F3 à Quelque chose-sous-Bois. Serge aurait rencontré toutes les peines du monde à s’inscrire aux Beaux-Arts, dans le meilleur des cas aurait-il combiné sa passion avec un petit boulot de livreur à vélo avant de baisser les bras. Les exemples de ces modestes ayant écrit la légende de Paris sont légion : la môme Piaf, Apollinaire, Coluche. A qui associer la capitale de demain ?

Quoi qu’il en soit, le soleil se couchera toujours au même endroit depuis le pont Alexandre III. Le ciel réverbèrera sur la Seine des teintes qu’il ne se connaissait pas. Le dôme du Grand Palais en embuscade, l’esplanade des invalides à votre gauche, avec ou sans peuple Paris restera toujours Paris. Fluctuat nec mergitur, ma douce. Les derniers rayons rougeâtres s’étireront dans le gris du plafond, plus que quelques minutes avant l’éclipse de jour. A vos côtés, trois touristes asiatiques immortaliseront la scène d’une perche à selfie dernier cri. D’humeur sociable, ils engageront la conversation dans un anglais de voyage.

– Vous habitez à Paris ?

– Oui, enfin à côté.

– Comme vous avez de la chance !

– Je dirais pas ça.

– Ah bon ?

Alors vous vous engouffrerez dans la brèche et leur parlerez du Paris populaire. Paname et ses mystères ramassés en quelques sentences maladroites. Whao, Paname ! Incroyable, où est-ce qu’on peut le prendre en photo ?

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